Enrique Vila-Matas : Paris ne finit jamais


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Pendant trois jours, le temps d'une conférence sur l’ironie et d'une confidence onirique, le grand écrivain catalan revient sur ses années d'apprentissage dans le Paris des années septante où, jeune artiste en proie au désespoir et à la peur des femmes, il fuyait sa famille bourgeoise bien davantage que le franquisme. On y vient à peine de tourner la page de mai 68 et de ses illusions quand Enrique Vila-Matas arrive à Saint-Germain-des-Prés sur les traces de son maître Ernest Hemingway et cherche un sens à sa vie, au milieu de ses amis, des exilés espagnols, des situationnistes et des travestis. Le lecteur abasourdi y croisera, presque à chaque pas, dans un tourbillon d'anecdotes, des figures légendaires de l’intelligentsia et de la bohème, Roland Barthes et Philippe Sollers en route vers la Chine, un faux Georges Perec, le fantôme de Rilke, Paloma Picasso ou encore Sonia, la femme de George Orwell en train de nettoyer sa cage d’escalier. On en retiendra surtout un portrait tendre de Marguerite Duras, propriétaire de la mansarde du jeune romancier. Duras qui lui délivre toute une page de conseils qui vaudront leur pesant de loyers impayés. Le conférencier, qui ne se consolera jamais d'être le pire sosie de l'auteur du Vieil homme et la mer, décrit minutieusement la genèse de son premier roman La lecture assassine et détaille, de façon tour à tour hilarante et tragique, les ingrédients parisiens qu'il y a intégrés. Il s’agit certes ici d’un livre de souvenirs, mais qui refuse le pathos et la mélancolie. Il peut se lire comme le récit de deux années de la vie d’un auteur en herbe qui n’a pas encore lu tous les livres et veut structurer sa destinée et son roman. On l'aura compris : cet ouvrage nous parle avec génie et légèreté, de tout et de rien, au gré de digressions qui donnent le vertige et le sourire. Il nous offre une double chronique de la capitale française, celle d'il y a cinquante ans et, en filigrane, via une plongée dans le mythique Paris est une fête, celle de la génération perdue des années 20... Tous ceux pour qui la littérature est une fête se régaleront de ces pages où l’érudition le dispute à l'humour et la mémoire aux échos d'une gaie dérision.

Karel Logist
Écrivain, ULiège Library

Enrique Vila-Matas, Paris ne finit jamais, Trad. André Gabastou, Actes Sud, Babel, 2020, 288p.

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