Christophe Mahy : À jour passant


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Il faut toujours faire confiance aux vrais marcheurs, ceux qui pérégrinent dans le silence, les yeux ouverts, l’oreille aux aguets. Christophe Mahy est l’un d’eux, attentif à l’éphémère, il avance dans la forêt de la vie à pas lent, à jour passant. Il arpente l’âpre chemin qui mène à soi. Ses poèmes semblent chuchoter la vie au quotidien, ce sont de courts textes qui tiennent en équilibre entre la nature et la mémoire, entre la solitude et l’enfance et disent l’étonnement de vivre

Regarde
au bout de ces terres
proches et lointaines
où tu reviens toujours
malgré toi
mais surtout n’efface rien
de ta page perdue
et reste fidèle
à ton enfance
en allée.

Quand le siècle se réchauffe et s’emballe, il est bon, à l’instar d’un Jean Follain, d’un Henri Thomas ou d’un André Dhôtel1, de s’arrêter, vivant et lucide, sur la course effrénée du temps. Christophe Mahy – qui aime se retirer de temps à autre dans un monastère – prend le temps de regarder la vie comme elle va et de nous rappeler l’essentiel. C’est à ce moment que le poème chez lui prend sa source, dans un paysage ombragé ou dans un pays de lumière et de nuit, à la lisière, près de hauts arbres ou au milieu de polders noirs de vent et de ciel. La musique est légère, le style s’épure de livre en livre.

Le narrateur ne s’adresse-t-il pas à lui-même tout autant qu’à son lecteur en utilisant la forme amicale de la seconde personne du singulier (Tu ne sais rien / ni de l’heure ni du chemin / et tu pèses aujourd’hui / moins lourd qu’un rayon) ? Mais à ce dédoublement, le poète préfère encore la forme plurielle, le “nous” qui englobe tous ceux qui ont la patience de cheminer dans les herbes folles, de s’émerveiller d’un ciel qui enroule des andains de nuages, ceux qui ont espéré un moment quelque chose de vague et mélancolique

Longtemps nous avons cru
qu’allonger le pas suffisait
à nous rendre libres
et nous sommes allés loin pour cela
jusqu’aux trouées du ciel
dans les branches
alors
pareils à ces trains qui traversent
la fièvre des villes
nous voici maintenant
revenus de tout
sans jamais être allés
nulle part.  

C’est donc sur un ton familier qu’il interpelle, comme un frère, ce proche qui, sans doute, n’est autre que lui-même, ce chemineau de la vie à qui il chuchote un conseil qui vaut pour tout poète authentique

Écrire ne t’emmène jamais plus loin
que de l’autre côté de la fenêtre
ou au fond du jardin
chaque phrase fait long feu
au bout de la ligne
et tu reviens malgré toi
vers des ailleurs plus proches
que tu ne penses
pour que ton poème sonne
un tant soit peu plus juste. 

Trouver le ton juste, dire les choses simplement est un art difficile. Le clinquant d’une formule, le jeu de mot facile, très peu pour ce poète. « Trouver l’origine de son propre silence prend beaucoup de temps » nous avait-il averti dans Un jardin de solitude. Avec les mots de tous les jours, comme à voix basse, Christophe Mahy nous entraîne sur les chemins de l’enfance, des rêves muets, dans les failles de la nuit

Être digne de son enfance
ne se paie pas de mots
mais de présence
à ce qui meurt en nous(…)  

Alain Dantinne 
Écrivain, philosophe - Faculté d'Architecture

Christophe Mahy, À jour passant, Gallimard, 2021, 144 p.

1 À lire à ce propos son très beau texte « Itinéraires buissonniers » paru dans l’ouvrage collectif Du côté de chez Dhôtel, Édition Noires Terres, 2020.
 
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