Shalom Auslander : Mother for Dinner [Maman pour le dîner]


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La famille Seltzer de Brooklyn s’engage dans un tournant décisif de son histoire : ultime représentante active de la communauté Can-Am (lisez  Cannibal-American), la matriarche Mudd est mourante. Sa nombreuse lignée, composée de onze fils encore en vie et d’une fille,  prend brusquement conscience du dilemme qu’engendre ce déclin : se résoudre à  embrasser la funeste assimilation de sa culture au melting pot ambiant ou à la contrarier avec ferveur et loyauté. Or, seule la seconde option n’est envisageable au regard éteint de la  matrone. C’est précisément dans le but d’être consommée à son trépas par chacun des descendants Seltzer, présumés anthropophages, que Mudd s’engraisse en absorbant chaque jour quantité de Whoppers, frites et ketchup. La fratrie, elle, se tâte. Certains se montrent favorables, sinon enthousiastes, à l’idée de poursuivre le rituel consacré ; d’autres, pour des raisons idéologiques insoupçonnées, s’y opposent fermement. L’indécision demeure quand leur mère pousse son dernier souffle. Alors, mangera ou mangera pas ?

Dans ce nouveau roman, Shalom Auslander est une fois de plus aux prises avec l’épineuse thématique de l’identité, manifestant un intérêt particulier pour le poids qu’exerce la filiation sur la définition de soi, ou le conflit qui élève le déterminisme contre le libre arbitre. Le sujet transparaît dans l’ouvrage notamment à travers l’image récurrente de la box : qu’il s’agisse des cases d’un formulaire du service d’immigration cochées à tort à la douane des États-Unis par Julius l’arrière-grand-père, des catégories sociales abstraites préétiquetées dans lesquelles ni le protagoniste Seventh ni les auteurs ou auteures des manuscrits qu’il évalue pour le compte de sa maison d’édition ne parviennent à se ranger, ou bien des caisses que sa fille Reese, jeune contorsionniste, s’emploie à remplir de sa personne en préparation d’un talent show scolaire. Ces boîtes classent, protègent, mais aussi prédisent et enferment.

Auslander nous offre là une œuvre de fiction trépidante, sans chapitres, au dénouement aussi noble que dérangeant, et empreinte d’un humour satirique qui lui est décidément propre – longeant souvent les frontières de l’insolence.

Laura Gerday
Centre d’Enseignement et de Recherche en Études Postcoloniales

 

Shalom Auslander, Mother for Dinner, Picador, 2021, 260 p.
Shalom Auslander, Maman pour le dîner, Trad. Catherine Gibert, Belfond, 2022, 244 p.

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