Roth

En apparence, comment un titre de roman pourrait être plus alléchant pour tous ceux qu’on presse chaque jour un peu plus à se méfier des « fake news »? Mais parle-t-on réellement de roman, lorsque l'auteur lui-même, à savoir Philip Roth, prétend, pour lui régler son compte (et, fondamentalement, pour guérir de la dépression et se retrouver lui-même), quitter la fiction et se livrer en toute vérité, comme il l’écrit dans la préface adressée à son double de papier, Nathan Zuckerman?

Après seulement quelques dizaines de pages, une première impression fait irruption: il ne s'agit en effet pas de fiction et, pourtant, il se pourrait bien que ce texte soit le plus fictionnel que Roth ait écrit, enchaînant son lecteur à un pacte de vérité que l'écriture, manifestement, ne cesse de torturer. Car l'écriture est bien l'enjeu fondamental de ce "roman", au-delà d'un contenu qui nous fait retrouver, en les euphémisant, l'ensemble des thèmes rothiens habituels : la complexité de l’identité juive, l'Amérique bigarrée des années 50, les rapports difficiles et ambigus au père et à la mère et, surtout, une irrépressible tension érotique qui pointe doucement à l'embouchure de l'adolescence. Par l'écriture qui se prétend témoignage, qui se couvre du manteau de la véridicité, Roth nous malmène, car cette même écriture ne cesse de dévoiler les peurs, les désirs, les frustrations et les impressions d'une époque, elle quitte sans cesse le témoignage pour flirter avec la représentation et l'interprétation. À travers sa prétention à la vérité et au dévoilement, n’est-ce pas finalement un autre récit fictionnel auquel nous confronte le génial auteur américain ? Dans la réponse de Zuckermann à Roth, qui clôt le roman, le personnage fictionnel ne s’y trompe pas, lançant à son créateur, en une confusion totale entre auteur et personnage : « Qui sommes-nous ? Et pourquoi ? ». Et le lecteur de se demander, lui aussi, à qui la question est adressée et par qui elle est formulée…

Elie Teicher
Sciences historiques

Philip Roth, Les faits. Autobiographie d'un romancier, Trad. Josée Kamoun, Gallimard, 2020, 240 p.

>>> 

Retourner à la liste

Partager cette page