Franz Kafka : Un artiste de la faim


Kafka

Il sera bientôt temps de commémorer  le centenaire de la parution de cette nouvelle de Kafka, sans nul doute une des plus célèbres avec La métamorphose et La colonie pénitentiaire. L’artiste de la faim (1922) situe l’apogée du jeûne professionnel au milieu du 19e siècle, période à laquelle le spectacle prodigué par l’artiste de la faim faisait recette et monopolisait l’attention de villes entières. Le narrateur souligne l’ « émerveillement » dont le public - et en particulier les enfants - était saisi à la vue des membres émaciés et des os saillants du corps de l’artiste posé à même la paille.

Contrairement à d’autres protagonistes du récit de la faim (on songe à Knut Hamsun, à Jacob Poritsky ou encore à Primo Levi) le Hungerkünstler de Kafka ne souffre pas des effets de la malnutrition. Au contraire, il convertit cette dernière en un véritable spectacle de masse (il sillonne l’Europe et son programme est géré par un impresario) dont le seul inconvénient est de ne pas lui permettre d’aller jusqu’au bout de son œuvre, étant forcé de cesser de jeûner après la période de 40 jours que stipule son contrat :

« Pourquoi s’arrêter juste maintenant, au bout de quarante jours ? Il aurait encore pu tenir longtemps, il aurait pu tenir un temps illimité ; pourquoi s’arrêter maintenant, en plein milieu du jeûne, avant même qu’il n’ait atteint le meilleur du jeûne ? Pourquoi voulait-on le priver de la gloire de continuer à jeûner et, non seulement de devenir le plus grand champion de jeûne de tous les temps, ce qu’il était probablement déjà, mais encore de se dépasser lui-même pour atteindre des records inimaginables, car il ne sentait jamais aucune limite à sa faculté de jeûner. » 

La clé de cette histoire (attention : spoiler)? Le jeûneur révèle in extremis que cette étrange vocation prend son origine dans  le sentiment d’insatisfaction éprouvé par celui qui n’a « pas pu trouver d’aliment qui [lui] plaise » en ce bas monde. « Si j’en avais trouvé un, crois-moi, », avoue-t-il au fonctionnaire venu inspecter sa cage, « je n’aurais pas fait tant de façons et je m’en serais repu comme toi et les autres. »

Michel Delville
Littérature anglaise et américaine

Franz Kafka, Un artiste de la faim, À la colonie pénitentiaire et autres récits, trad. Claude David, Folio Classique, 1990, 249 p.

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