Christophe Mahy : Les claires voies. Chroniques d'un marcheur


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Il n’est pas nécessaire de réserver des avions, de louer une chambre d’hôtel ou de passer par une agence pour voyager. Il suffit d’ouvrir un livre, Les Claires Voies de Christophe Mahy, en découvrir quelques lignes pour ensuite sortir de chez vous, quitter le bourg ou la grande ville, marcher, rejoindre les à-côtés herbeux d’une rivière, longer un bord de mer ou gravir les pentes qui mènent vers les Hauts de l’Ardenne, du côté de la Croix Scaille. Vous ne rentrerez pas indemne de votre parcours, car « Le sens de la marche, c’est elle-même. C’est de réaliser ce que nous sommes, ici et maintenant. D’être en relation permanente avec notre être profond, que nous oublions à chaque instant. »

Le marcheur fait corps avec le paysage, il ne cherche pas le point de vue exceptionnel, il martèle la glèbe et accompagne les saisons d’un pas humble, d’un regard toujours à l’affût. Il se déplace dans la « banalité précaire d’un extrême abandon », et réalise à quel point « la marche  est, par excellence, l’état du rebelle. » Le long du canal, la terre est plate, ne présentant comme seul relief que les feuilles des betteraves à perte de vue, cela n’empêche le marcheur d’observer que « L’irruption du reflet dans le panorama révèle des transparences insoupçonnées, qui donnent à voir qu’il n’y a rien à voir. » L’œil du poète ne doit rien au botaniste ni au biologiste, il connaît d’enfance, semble-t-il, les herbes folles et le monde sauvage qu’il dérange de ses pas.

Les mariniers à la retraite, les pêcheurs au vif, les éclusiers du Canal des Ardennes ou les boucholeurs de Charente lui sont familiers, la conversation prend naturellement forme, le poète se fond dans la vraie vie, celle dont il repère les indices en traversant des villages déserts, en parcourant des chemins de douaniers, en s’arrêtant dans un bar à deux pas d’une écluse. La rencontre est quelquefois plus inattendue, comme ce regard échangé dans l’immobilité avec un faucon crécerelle posé sur une rampe à moins de deux mètres du randonneur. Rendez-vous est pris et les jours suivants, le spectacle étrange se répète.

 Ce livre est un voyage vers l’imperceptible que cherche à atteindre la poésie. « Moi aussi, nous dit-il, je marche vers ma fin, mais il n’y a pas vraiment de fin. J’évolue dans un estran aussi intérieur qu’indéfinissable. » C’est ce mouvement vers soi-même que la marche révèle et renouvelle sans cesse. Jean-Marie Lecomte est un superbe paysagiste. Ses photos au fil de l’eau le prouvent de nouveau, sa maîtrise du noir et blanc donne une profondeur qui sied bien aux propos du poète.

 Alain Dantinne
Écrivain, philosophe - Faculté d'Architecture

Christophe Mahy, Les claires voies. Chroniques d’un marcheur, photographies de Jean-Marie Lecomte, éditions Noires Terres, Coll. Croisements,  2020, 208 p.

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