Javier Cercas : Indépendance


Cercas-independance

Deuxième volet de la trilogie policière inaugurée avec Terra Alta  (2021), Indépendance renoue avec le personnage de l’énigmatique et implacable inspecteur Melchor Marin. On l’avait laissé aux prises avec un triple meurtre qui l’avait mené jusqu’aux temps les plus troublés de la guerre civile espagnole et on le retrouve, dans une légère uchronie (nous sommes en 2025), engagé dans une enquête relative à un chantage à la sextape exercé contre la maire de Barcelone. L’occasion pour lui de plonger tout entier dans la boue d’un présent qui n’a rien à envier aux remugles du passé. L’occasion aussi pour Javier Cercas, Catalan d’adoption mais radicalement opposé à toute velléité indépendantiste, de dépeindre une classe politique et économique locale peu reluisante : l’affairisme, les combines, l’entre-soi d’une poignée de familles concentrant depuis des décennies le pouvoir entre leurs mains, l’absence de scrupules de celles et ceux à qui tout dû – tout cela constitue un réquisitoire implacable contre un monde qui, à la différence de l’Italie gangrenée par la démocratie chrétienne et la mafia dépeinte par Leonardo Sciascia, a ajouté l’ingrédient si caractéristique de notre époque : la vulgarité triomphante.

Plusieurs niveaux de compréhension sont ainsi accessibles au lecteur : il est certes possible de s’en tenir à la surface des choses et de savourer un roman policier haletant mais on peut aussi y puiser une réflexion politique sur les dérives du pouvoir avec, en toile de fond, presque imperceptible mais pourtant fil rouge du livre, la déclaration d’indépendance de la Catalogne en 2017. On peut aussi s’amuser avec l’auteur qui, s’inscrivant dans la trame de son propre livre (Melchor apprend qu’un certain Javier Cercas a écrit un livre sur lui, intitulé Terra Alta, qu’il n’a pas lu et qu’on lui dit truffé de mensonges), invite aussi à réfléchir sur les rapports entre le créateur et sa création mais également sur le fil, parfois ténu, entre réalité et fiction.

Plus fort encore : en retrouvant par hasard, à l’occasion de son enquête, les assassins de sa mère prostituée, Melchor s’enfonce de plus en plus dans le rôle ambigu de l’Ange exterminateur, qui ne parvient à étancher sa soif de justice qu’au moyen de la vengeance la plus implacable. Qu’adviendra-t-il de cette figure à la fois attachante et redoutable ? On attend désormais le troisième tome avec impatience pour le savoir.

Nicolas Thirion
Droit commercial

 

Javier Cercas, Indépendance, trad. Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, Actes Sud, 2022, 352 p.

>>>

Retour à la liste

Liste triée par catégorie

Partager cette page