Frédéric Beigbeder : Un barrage contre l’Atlantique


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Comme le suggère l’illustration qui accompagne ce livre, le dernier roman de Beigbeder ressemble à une toile de Hopper : le littoral qui regarde l’Atlantique (mais on est ici sur l’autre rive), un parfum de déclin, des couleurs troublantes, une mélancolie à la fois douce et inguérissable.  Profitant du confinement imposé par le virus corona, expérience planétaire qui rapproche désormais tous les humains, l’auteur se réfugie dans le bassin d’Arcachon pour écrire. Le spectre fraternel de Duras n’est pas loin, car il y est bien question d’un personnage qui lutte désespérément contre la mer pour sauver ce coin de paradis auquel l’écrivain tient autant que lui. Mais cette fois la montée des eaux est liée au dérèglement climatique, à cette époque qui s’ouvre sans pitié et que l’on désigne parfois du nom du responsable : l’anthropocène. On l’aura compris, au risque d’être suspecté de réaction, au sens politique, ce récit nous parle de la fin d’un monde, d’un XXIe siècle incertain et de notre condition… faut-il encore dire postmoderne ? Il la définit en tout cas comme « celle d’un parasite qui cherche à survivre dans un environnement hostile ».

Pour ne pas barber le lecteur dans cette ambiance de spleen que ma fille taxerait de relou, mais pour éviter aussi ce ton rigolard que les médias adorent et que l’écrivain exècre – car « faire marrer le peuple est aussi une manière de l’éloigner des luttes réelles » avait-il soutenu dans « Le Devoir » en 2020 – il joue théâtralement avec la forme, en comptant sur l’intelligence du lecteur (celle du « signe d’intelligence »). On aime ou on n’aime pas, mais moi j’ai adoré !, ce roman fait de centaines de petits paragraphes dont certains renvoient à la tradition littéraire la plus savante – celle qui se mire dans le miroir mallarméen :  « Les blancs qui entourent les phrases leur donnent une majesté, comme le cadre autour d’un tableau », écrit Beigbeder avant d’ajouter « les romanciers ne doivent pas seulement vaincre la concurrence des autres romanciers, mais aussi celle des emails, des sms, des posts, des alertes, des retweets… ».

Stéphane Dawans
Philosophe, Faculté d'Architecture

Frédéric Beigbeder, Un barrage contre l’Atlantique, Grasset, 2022, 272 p.

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