Caroline Lamarche : Le jour du chien


Lamarche

J’avais gardé de ce premier roman de Caroline Lamarche, prix Rossel 1996, le souvenir d’un exercice de style : six narrations d’un même fait divers. Un chien abandonné au bord de l’autoroute traverse toutes les bandes de circulation dans une course folle qui n’échappera pas à six témoins dont nous découvrirons successivement  les visions : le camionneur largué par sa femme qui s’invente des histoires ; le prêtre qui ne trouve plus le secours de Dieu depuis qu’est partie cette Sophie qui s’était un moment incrustée dans son cœur ; la femme qui enterre son dernier amour et avec lui sa croyance romantique à « l’Immense Amour » ; l’homosexuel qui perd son boulot pour avoir dit ses quatre vérités à sa patronne et qui cherche à sortir de lui-même en roulant à vélo le long de l’autoroute ; la femme qui avait construit sa vie sur son mari et dont le mari meurt lâchement d’un cancer ; la fille, enfin, de cette femme, qui voudrait bien exister pour quelqu’un et qui mange et qui mange et qui mange depuis la mort de son père.

Exercice de style ? Oui, pour la narration. Mais ce livre va bien plus loin. Chaque personnage est ce chien abandonné à la recherche d’un espoir, d’une échappée, d’une trouée vers la lumière. Des fils se tissent entre toutes ces histoires, un délicat réseau arachnéen léger comme la soie et lourd comme le destin. Solitude. Abandon. Entre les veaux conduits à l’abattoir du chapitre un et le chevreuil épargné du sixième, partout la souffrance, partout les larmes rentrées. Humanité émasculée. Prière inutile. Orgasme. Dépression. Courir. Courir. Fuir. Fuite en avant.

Et ces phrases qui happent comme une voiture à contresens :

« L’infini eut la durée d’une saison sans arbres. »
« Qu’elle ouvre encore pour moi le lutrin de ses mains. »
Éviter « la course éperdue à l’épanouissement et la chute dans le bonheur ».

Avec ce sommet, peut-être, cet os à ronger lentement pour bien s’imprégner de sa moelle : « Il faut quitter un amour tant qu’il vous rue encore dans le sang. Après, c’est trop tard, et rien ne reste qu’un froid intense et une tristesse de damné. »

Un livre à lire deux fois, au moins, pour se brûler à chaque fois au froid intense de Caroline Lamarche.

Daniel Charneux
Écrivain, Alumni Philosophie et Lettres

Caroline Lamarche, Le jour du chien, La renaissance du livre, coll. Espace Nord, 2008, 133 p.

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