Bertrand Belin : Grands carnivores


Belin

La stupeur se répand dans la ville comme la traînée de bouse que le cirque, en s’y installant peu avant, a laissée sur la chaussée (le directeur de l’usine de boulons locale s’en était presque étouffé de rage) : les fauves se sont échappés, au grand dam du valet de cage. Bien que chacun ait cru les apercevoir, ils sont introuvables. S’aventureront-ils, tenaillés par la faim, dans l’abattoir tout proche, où d’autres grands carnivores dépècent chaque jour plus de carcasses que les félins, qui incarnent certes bien des périls tapis au fond de l’âme humaine, n’en dévoreront jamais ? Ce texte bref et ciselé, qui succède aux excellents Requin (P.O.L, 2015) et Littoral (P.O.L, 2016), a les allures d’une fable dans laquelle les lieux et les personnages seraient élevés au rang d’archétypes. C’est sur cette trame narrative resserrée, où le mot pèse autant que l’idée, que Bertrand Belin (qui publie parallèlement un très bel album de chansons, Persona) déploie non seulement des thèmes aussi essentiels que la prédation ou le rôle de l’art dans l’existence (car le directeur précité a un frère ennemi, le peintre) mais aussi une écriture plus leste que jamais, souple et légère comme le pas d’une bête sauvage qui, trop longtemps contrainte par le prédateur suprême, aurait repris sa liberté.

Marie Herbillon
Centre d'Enseignement et de Recherche en Études post-coloniales

Bertrand Belin, Grands carnivores, P.O.L., 2019, 176 p.

 

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