Thierry Horguelin : Ma vie d’espion


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Écrire de la fiction, c’est fabriquer de réel : s’inquiéter du réel, c’est s’ouvrir à l’imaginaire. Thierry Horguelin le démontre avec brio dans son dernier livre, Ma vie d’espion, longue nouvelle ou court roman paru à Montréal en ce printemps 2023.

Le personnage principal du récit, qui en est aussi le narrateur, exerce la profession de photographe. Après des études dans une école d’art, il s’est cantonné à des pratiques alimentaires, pour des illustrations de magazines ou de prospectus, reportant sans cesse à plus tard tout projet de développer une œuvre personnelle. Parallèlement il se fantasme en espion, contraint de se méfier, de jouer toujours double jeu. Aux taxis qui le ramènent chez lui, il ne donne qu’une adresse approximative, préférant terminer à pied le chemin jusqu’à son domicile. Dans la rue, il lui arrive de prendre des femmes en filature, de les photographier à la dérobée. Mais il ne se produit jamais rien. Les femmes n’ont d’autre mystère que leur quotidien le plus ordinaire. Les photos volées, notre espion ne les regarde même pas, se contentant de les copier sur un disque dur qu’il replace à chaque fois dans une cachette astucieuse (allez donc voir du côte de la bouche d’aération de sa salle de bain). Sa vie se déroule sans relief, une existence teintée de nostalgie envers les amours qui se dérobent. Jusqu’au jour où…

En dire plus serait priver le lecteur du plaisir de découvrir ce qui advient et d’y croire : l’aventure est au coin de la page. Mais une fois l’intrigue consommée, on s’aperçoit du leurre qui s’est soigneusement élaboré au fil du texte, dans une subtile construction qui doit tout autant, sinon plus, à la poésie qu’au récit d’énigme. Une série de figures s’y répondent en miroir pour interroger l’art même de la fiction, le réel et ses apparences. Chaque événement peut dès lors être réinterprété comme la mise en abyme récurrente d’une même thématique : celle de l’identité, jamais conforme à ce que l’on croit, d’une idéité qui n’existerait que par ce qu’on en dit ‒ et ce qu’on en dit varie au gré de perceptions et d’interprétations qui se contredisent. La photographie se révèle le médium idéal pour pousser loin l’investigation. Mais ce  qu’elle dévoile n’est jamais que la trace d’un songe, d’un rêve méthodique, de cette part de réalité que l’espion le plus sagace ne peut débusquer que dans l’imaginaire.

 Carmelo Virone
Écrivain  - Alumni Faculté de Philosophie et Lettres

Thierry Horguelin , Ma vie d’espion,  L’oie de Cravan, 2023, 80 p.

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