Marguerite Duras : Un barrage contre le Pacifique


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Tandis que je viens de tourner la dernière page du roman, je ne cesse de penser à ce récit, à ces personnages de la Mère, de Suzanne et de Joseph. J’ai aimé ce livre, dans lequel les êtres choisissent, alors même que leur liberté est toute relative.

Comme toujours avec Duras, la langue est limpide et les mots vont droit au but, sans artifice.

Alors qu’on suggère fréquemment de faire un usage modéré de l’adverbe « très », elle écrit ceci : « La femme avait un air très humble. Elle était vraiment très belle, très élégante. Son visage sans fards, défait par la fatigue du voyage et l’inquiétude restait très beau. Ses yeux étaient bien ceux dont avait parlé Joseph, si clairs qu’on les aurait dits aveuglés par la lumière. »  Je me demande comment elle fait, Marguerite Duras, pour qu’un tel passage soit, de la sorte, très beau.

Les coloniaux déchus, décrits au long des pages ont tout perdu, hormis leur dignité et ils luttent contre leur destin, comme on lutte contre un océan. On se prend à admirer ces gens, pour leur détermination, malgré leur trivialité et leur désinvolture, parfois joyeuse. La misère ne les empêche pas de vivre, parfois même en riant.

Et elle n’est pas belle, la vie coloniale d’Indochine, avec ces enfants indigènes qui meurent dans l’indifférence, enterrés comme des déchets, dans ces plaines peu fertiles, inondables parfois, avec la rapacité corrompue des fonctionnaires du cadastre, avec la richesse des uns et la pauvreté des autres, avec l’ennui et la désespérance.

Pourtant, c’est aussi une histoire du désir qu’on parcourt au long de ces pages. Désir tous azimuts. La liaison de Joseph avec « la Femme », ainsi que sa genèse, est bouleversante. L’abandon libre et gratuit de Suzanne avec le voisin aussi.

Mais il n’est pas question que de désir charnel : il y a le désir qu’a la Mère de trouver une issue pour ses enfants et le désir de ceux-ci de partir, de quitter les lieux de leur servitude.

« —Je pars, lui dit Suzanne, je ne peux pas faire autrement.
—Je ne peux pas t’empêcher, dit enfin Agosti, à ta place, je ferais comme toi. »

Gabriel Rasson
Écrivain - Droit notarial

Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique, Folio, 2007, 384 p.

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