Sally Rooney : Normal People


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Irlande, 2011. Connell, dix-sept ans, est un jeune homme issu de la classe populaire qui vit seul avec sa mère, qui l’a élevé. Sportif, passionné de littérature, il est très populaire à l’école. Ce qui n’est pas le cas de Marianne, que tout le monde au lycée considère comme une solitaire un peu bizarre. Un jour, après une conversation a priori banale dans la cuisine de Marianne, pour la famille de laquelle la mère de Connell travaille, une certaine fascination, qui se transformera bientôt en relation amicale et amoureuse, secrète et quelque peu honteuse, naît et pousse inextricablement les jeunes gens l’un vers l’autre. C’est l’évolution de cette relation, à la fois maladroite et touchante, que raconte ce roman, qui nous entraîne du village dans l’ouest de l’Irlande où Connell et Marianne ont grandi jusqu’au Trinity College de Dublin où ceux-ci poursuivent leurs études.  

« Normal people » est le deuxième roman de la nouvelle égérie des lettres irlandaises, Sally Rooney. Titre que la jeune autrice – elle est née en 1991 – mérite amplement. En effet, Rooney fait preuve dans ce récit d’un indéniable talent lorsqu’il s’agit de sonder et de sublimer les pensées profondes et les doutes de ses personnages. Car, faut-il le préciser, l’essentiel de l’action se déroule dans la tête des deux protagonistes principaux, Connell et Marianne, ce qui n’empêche pas le récit d’être très accrocheur et de se lire d’une traite. Sous couvert de l’histoire d’un premier amour qu’on pensait avoir vue et revue, Rooney aborde avec subtilité plusieurs thèmes complexes et d’une actualité criante. L’amitié, l’amour et l’attirance, bien entendu, mais également d’autres sujets plus tabous, comme les violences intrafamiliales, la haine de soi qui empêche toute relation équilibrée avec autrui, la honte, la dépression et le suicide.

En toile de fond, l’autrice, qui s’est elle-même déjà qualifiée d’ « autrice marxiste » dans plusieurs interviews, revient sur l’un de ses questionnements de prédilection, à savoir la manière dont des personnes provenant de milieux sociaux très différents peuvent nouer une relation malgré l’absence de références, culturelles notamment, communes. On pense à ce passage dans lequel Marianne, issue d’un milieu particulièrement aisé, conseille à Connell de lire le Manifeste communiste… qu’elle-même, contrairement à Connell d’ailleurs, n’a jamais lu, mais dont elle connaît l’importance historique de par son éducation familiale. Ou encore, autre scène marquante du récit, lorsqu’un Connell désabusé réalise, à l’issue d’un événement littéraire où s’est retrouvé tout le gratin de la capitale irlandaise, que sous cette forme, la littérature n’est plus qu’un moyen pour les riches de faire étalage de leur culture en prétendant s’intéresser au sort des plus humbles, et perd par conséquent tout son potentiel de résistance. Une romancière à suivre de près.  

Marie-Sophie Silan
Département de Droit

Sllay Rooney, Normal People, Faber & Faber, 2019, 288 p.
Sally Rooney, Normal People, trad. Stéphane Roques, éditions de l’Olivier,  2021, 320 p.  

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