Françoise Houdart : Au revoir Lisa


houdart

Tout l’univers au creux d’un tilleul. The Universe in a Nutshell… « Tout l’univers dans une coquille de noix »… ou dans un vieux tilleul soudain foudroyé. Tout l’univers de Françoise Houdart dans ce tilleul séculaire qui, dès la première page du dernier roman de l’auteure, se fissure, frappé par un coup de foudre.

Il ne s’agit pas ici d’un coup de foudre amoureux, un love at first sight mais bien d’une vraie déflagration d’une violence inouïe, comme un message qu’enverrait le ciel déchaîné, un éclair, un flash qui réveillerait, révélerait enfin une histoire familiale jusque-là occultée, marquée au sceau du secret, du non-dit ou – pire – du mensonge.

Le vieux tilleul n’est pas la seule victime de ce choc salutaire : Eugénie, qui vit dans une maison voisine du champ où survit l’arbre, au parvis du bois du Coron, s’est effondrée à même la table de sa cuisine, la tête sur son bras replié. Hôpital, examens… sa fille Lisa est appelée à son chevet. Ni AVC, ni infarctus. C’est comme si quelque chose en Eugénie (la « bien née », vraiment ?) s’était, comme l’arbre, fissuré, fracturé, fragmenté. Comme une vieille blessure soudain réveillée. Comme l’héroïne d’Éclipse, le premier personnage à entrer en scène dans ce nouveau roman semble « s’éclipser », se mettre entre parenthèses, en latence. Elle part, comme est parti autrefois son mari Auguste (« auguste », vraiment ?), le peut-être père – le papa ? – de Lisa qui, grâce à cette absence de sa mère, mène au cours du roman une enquête quasi œdipienne à la recherche du passé familial, cherchant à démêler les écheveaux subtils que tissent les relations entre ces trois-là : papa, maman, enfant. La cellule humaine ancestrale, si simple et si compliquée. Pourquoi Auguste est-il parti ? Était-il vraiment coupable de ce dont on l’accusait ? Pourquoi n’est-il jamais revenu ? Pourquoi n’a-t-il envoyé que des cartes postales ? N’aurait-il pas écrit de vraies lettres, et si oui, cachées où ?

Vieilles photos de famille, enveloppes dissimulées, voisine qui en sait plus qu’elle n’en a l’air… Lisa enquête, et la narratrice avec elle, ou plutôt les narrateurs, car plusieurs points de vue sont tour à tour explorés (comme dans Quatre variations sur une fugue ou Lettres pour la gisante), comme sont explorés différents lieux : du Coron initial, la construction fuguée nous emmène à Florence (comme dans La Danse de l’abeille), Arras, Bruxelles ou le si symbolique Berlin : « Coupée en deux, comme jadis Berlin. Ainsi toute ma vie écartelée entre Est et Ouest ; entre ma mère et toi, mon père. Toi, forcément à l’Ouest dans ta liberté secouée d’amertume, ta liberté grevée d’un manque, un membre amputé dont tu perçois le poids, le volume qu’il occupe dans le vide. Elle, restée à l’Est, incapable de franchir le mur qui traverse notre maison de part en part ; à l’Est où elle n’en finit pas de guetter par les fissures de la muraille de son mensonge. »

Le dernier roman de Françoise Houdart, vraiment ? Certainement pas ! Il reste de la vie à explorer, des secrets à dévoiler, des comptes à régler avec le non-dit. Mais il n’est pas temps d’attendre le suivant. Savourons celui-ci, à lire et à relire pour en démêler tous les fils.

Daniel Charneux
Écrivain - Alumni

Françoise Houdart, Au revoir Lisa, Éd. M.E.O., 2021, 132 p.

>>> 

Retourner à la liste

Partager cette page