Walter Benjamin : Charles Baudelaire


Benjamin

En cette année bicentenaire de la naissance de Baudelaire est paru chez Payot Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, de Walter Benjamin (1892-1940), dans une nouvelle édition traduite et préfacée par le germaniste Jean Lacoste. Il s’agit en fait d’une réunion de plusieurs fragments d’un livre entrepris sous ce titre et de deux articles : Sur quelques thèmes baudelairiens (1934) et Le Paris du second Empire chez Baudelaire (1938).

Mieux que quiconque avant lui, Benjamin, qui fut traducteur de Baudelaire en allemand, a senti la « profonde duplicité » qui anime sa poésie. Toutefois, on ne trouvera pas ici une étude approfondie des Fleurs du mal, encore moins une biographie, mais plutôt un essai philosophique. Le sujet Baudelaire n’est qu’un prétexte ; l’intérêt se situe ailleurs, quelque part dans les remarques incidentes, presque anodines, qui font tout le sel du livre. Ainsi lorsque Benjamin remarque que « Le culte de la blague (…) est devenu un élément essentiel de la propagande fasciste », ou plus loin, quand il épingle (déjà !) le sourire imposé des employés en contact avec le public : « ce sourire devenu aujourd’hui usuel dans la pratique du keep smiling et qui y joue le rôle d’un amortisseur mimique » (il est vrai que le port du masque généralisé a depuis permis de faire l’économie du sourire). Ce qui impressionne surtout, dans ce livre, c’est cette façon dont Benjamin fait sens d’infimes détails qu’il recueille comme le chiffonnier ramasse les défroques du commerce, par exemple lorsqu’il voit dans le goût des intérieurs bourgeois du Second Empire pour « les housses de peluche et de velours qui conservent l’empreinte de chaque contact » un indice des tentatives désespérées de la bourgeoisie pour « se dédommager du peu de traces que laisse la vie privée dans la grande ville ».

« Les déchets de la société », demande-t-il, « sont-ils les héros de la grande ville ? Ou le héros n’est-il pas plutôt le poète qui construit cette œuvre avec ce matériau ? » Si on penche pour la seconde hypothèse, on ne peut s’empêcher d’assimiler le philosophe au poète, et il importe peu, en ce cas, que le Baudelaire de Benjamin ait ou non existé.

Et puis il est un mot sublime qui justifie à lui seul de (re)lire Benjamin autant qu’il explique bien des entreprises humaines : « Il n’y a, pour les hommes tels qu’ils sont aujourd’hui, qu’une nouveauté radicale — et c’est toujours la même : la mort. » 

Alexandre Lansmans
Langues et littératures françaises et romanes

Walter Benjamin, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Trad. Jean Lacoste, Petite bibliothèque Payot Classiques, 2021, 304 p.

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