André-Joseph Dubois : Le Septième Cercle


Dubois

Si comme le soutient Sartre, « tout homme est tout l’homme » – j’ai tenté de montrer la force de cette hypothèse ici – pourquoi un vrai salaud, réel ou fictif, ne nous en apprendrait-il pas en matière d’Humanité ? Et si cette idée peut encore choquer, plus d’un demi-siècle après Eichmann à Jérusalem (Arendt, 1963) c’est que nous avons décidément bien du mal à digérer la « banalité du mal » et que son corollaire, à savoir le caractère « trop humain » des crapules, nous ulcère encore plus douloureusement.

Nous brûler à l’estomac, c’est le risque calculé, que prend Dubois pour nous raconter l’histoire de ce Léon peu recommandable, qui, parti de Herstal, a traversé la planète et l’histoire de la deuxième moitié du XXeS, en témoin privilégié pour ne pas dire en principal suspect. Dès la première page, on ne sait pas vraiment à qui Léon se confesse, mais il parle durant 16 jours et 16 chapitres à une dame qui nous représente au cœur-même du texte et, bien que muette, ne peut manifestement pas cacher sa gêne quand il va trop loin dans ses aveux, comme si elle buvait à notre place toute cette honte qui finit quand même par nous éclabousser un peu. Ce dispositif littéraire en jeu de miroirs nous oblige écouter Léon jusqu’au bout, quand, par exemple, il se réjouit de la mort de Julien Lahaut ou quand il révèle comment il a abattu froidement sa petite amie algérienne. Je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler cette série où tous les épisodes sont captivants autant que dérangeants. Et la fin nous réserve encore une surprise de taille.

Qu’on ne s’y trompe toutefois pas : il n’y a dans ce récit nulle trace de complaisance malsaine ! Le romancier aurait pu nous raconter ces moments importants de l’histoire récente, entre le deuxième conflit mondial et la fin de la guerre froide, à partir d’un personnage bien plus convenable politiquement, c’est certain ! Mais il a eu l’intelligence et surtout le courage de ne pas chercher la facilité et de s’engluer - le mot est de Sartre aussi ! - dans cette bonne conscience qui devient aujourd’hui la norme consensuelle, pour ne pas dire commerciale.

A l’instar de Ptiluc, qui, sur la couverture célèbre d’une de ses bandes dessinées, nous montre des rats qui rient aux larmes en lisant La Peste de Camus, André-Joseph Dubois nous force à adopter un autre point de vue ou plutôt le point de vue de l’autre. Il faut la passion de l’Homme – et tant pis si cette passion est inutile - pour oser l’éclairer d’un jour si froid et croire éperdument en l’intelligence du lecteur pour lui accorder une telle preuve de confiance.

 

Stéphane Dawans
Philosophe, Faculté d'Architecture

André-Joseph Dubois, Le Septième Cercle, Weyrich, 2020, 508 p.

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