Pierre Maurel : Michel et le grand Schisme


Maurel

Sur la couverture de l'album, on aperçoit Michel à genoux en pleine rue, son matériel de prise de son éparpillé autour de lui, cerné par les forces de l'ordre au milieu d'un nuage de gaz lacrymogène, dont un CRS qui pointe son lanceur de balles de défense en tir tendu vers le lecteur. Avant même d'ouvrir cette BD de petit format, on a compris que Michel et le grand schisme, troisième volet des aventures d'un reporter radio, est en prise directe sur l'actualité et le malaise social qui secoue la France.

Et pourtant, le travail de Pierre Maurel n'a rien à voir avec les BD documentaires. La crise sociale n'est pas le sujet de ce troisième volet, c'est son décor. Celui que Michel partage avec les lecteurs de ses aventures. Dans la France ici dépeinte, les manifestants se font nasser, gazer, quand ils n'ont pas les yeux crevés. Les travailleurs qui enchaînent les petits boulots se font virer dès qu'ils ne respectent pas à la lettre les instructions qu'on leur donne, les plats sont livrés à vélo et les trottinettes en libre accès jonchent les trottoirs. Voilà pour le contexte.

Michel, le héros de cette série s'est lui-même fait virer comme un malpropre et enchaîne les missions d'intérim pour survivre, mais il n'est pas le plus malheureux des hommes, car il a rencontré l'amour, le grand, avec un A majuscule, celui qui bouscule et fait que la vie bascule. C'est avec Béa que Michel met le pied dans des endroits qu'il n'a jamais fréquentés, grâce à elle qu'il rencontre des copines qui ne lui ressemblent pas vraiment, avec ses yeux qu'il prend un peu de distance par rapport à la vie qui s'écoule et aux injustices qui la ponctuent.

Si Pierre Maurel ancre son récit dans le réel, il ne fait pas de son héros un révolté, un insoumis ou un perpétuel indigné. Michel est un gars qui a des valeurs (largement à gauche), qui croit aux institutions et aimerait que le monde tourne un peu plus rond, mais qui va de déception en déception. Heureusement qu'il y a Béa pour lui donner une bonne raison de se lever le matin et de rêver un avenir moins gris. Non pas en fomentant la révolution, mais en se construisant un petit nid à l'écart du tumulte. Une BD à ne pas louper.

De plus en plus à l'aise avec son trait et ses trames, Maurel prend un plaisir visible à croquer son rondouillard de Michel et ses lunettes à montures épaisses. Empruntant à la fois les codes de la BD autobiographique américaine (Michel est un cousin européen du Fante Bukowski de Noah Van Sciver) et les registres de la satire sociale, Maurel parvient à être à la fois drôle, touchant et pertinent. C'est rare. Et précieux.

Nicolas Ancion
Écrivain, Alumni Faculté de Philosophie et Lettres

Pierre Maurel, Michel et le grand Schisme, Bruxelles, L'employé du moi, 2020, 80 p.

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