Leonardo Padura : El hombre que amaba a los perros [L’homme qui aimait les chiens]


Padura-es Padura 

Après le décès de sa femme, Iván, écrivain frustré, se décide enfin à coucher sur le papier le récit que lui a confié un mystérieux étranger, rencontré sur une plage de La Havane où il promenait ses deux lévriers barzoï. Dans le roman, le cheminement d’Iván dans sa relation avec « l’homme qui aimait les chiens » alterne avec les trajectoires de deux autres personnages. D’abord, celle de Lev Davidovich, dit Trotski, discrédité et présenté comme un traître à la Révolution russe, que la soif de pouvoir de Staline a contraint à l’exil, de Turquie en Norvège, pour finir au Mexique. C’est dans sa maison-forteresse du quartier de Coyoacán qu’il sera assassiné par Ramón Mercader, troisième personnage dont le roman retrace le parcours. L’histoire du milicien catalan bascule le jour où, pour démontrer à sa mère et à la femme qu’il aime son dévouement total à la cause communiste, il accepte une mission dont il ignore encore tout et qui le mènera à commettre ce meurtre historique.

Certes, ce gros livre de 700 pages au sujet sérieux peut paraître inapproprié pour une lecture de l’été, mais mêmes les lecteurs les moins férus de politique y trouveront du plaisir, car au-delà des débats idéologiques, le roman invite aussi à une réflexion sur des thèmes plus universels, tels que le mensonge, la foi, la solitude. Les protagonistes, trois « hommes qui aimaient les chiens », font en effet l’expérience d’un grand isolement, seulement mitigé par la fidèle présence animale. Trotski, depuis son confinement forcé (voilà qui est de circonstances), a vu mourir tous ses proches et sympathisants. Ramón Mercader, dans son engagement aveugle, sacrifie jusqu’à son identité, au point de se perdre et de s’inventer un alter ego. Les convictions du cubain Iván, dont la vocation a été étouffée dès ses premières lignes en tant que journaliste, sont toujours plus ébranlées au fil des découvertes provoquées par le dialogue avec « l’homme qui aimait les chiens ». Tous voient s’effondrer l’utopie à laquelle ils avaient cru et dévoué leur vie. Ils remettent en question, et le lecteur avec eux, la notion même de vérité, tant celle-ci est manipulée, dans une réécriture de l’Histoire digne des récits orwelliens.

L’auteur cubain Leonardo Padura, plus connu pour ses romans policiers mettant en scène le lieutenant Mario Conde, s’illustre ici dans un roman historique et politique aussi dense et ambitieux que passionnant. La traduction française a été réalisée par René Solis et Elena Zayas.

Clémence Belleflamme
Langues et littératures espagnoles et hispano-américaines

Leonardo Padura, El hombre que amaba a los perros, Tusquets Editores, 2011, 768 p.

Leonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens, Trad. Elena Zayas et René Solis, Points, 2014, 816 p.

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