Jirô Taniguchi : Les années douces


Taniguchi

"Qu’est-ce que ça bouffe alors, dans les romans japonais !" À l’évidence, ce constat de Ryoko Sekiguchi s’applique au manga de Jirô Taniguchi, Les Années Douces, tiré du roman de Hiromi Kawakami. La gastronomie est le fil conducteur de la relation que Tsukiko, jeune femme indépendante et réservée, entretient avec son ancien professeur de littérature japonaise, ce vieil homme qu’elle retrouve un jour, par hasard, au comptoir d’un restaurant. Si la nourriture importe tant, ce n’est pas seulement pour son rôle social, c’est aussi et surtout parce qu’elle est une expérience de la chair (de la bonne chère), capable de métamorphoser la sage Tsukiko, manquant soudain de retenue, se montrant vorace et avide. Les Années Douces raconte la naissance du désir, au fil de rencontres aléatoires et d’excursions paisibles qui, tandis que Tsukiko et celui qu’elle appelle « le Maître » se côtoient, contribuent à décaler leur relation, à lever – doucement, insensiblement – les barrières psychologiques et morales qui s’opposent au sentiment amoureux entre la jeune femme et le vieil homme. Taniguchi excelle dans l’art du décalage. Si ses pages obéissent toujours à une géométrie exacte, si tout est propre et à sa place dans le monde urbain où évoluent ses personnages, son réalisme (magnifiquement poétique dans L’Homme qui marche) permet en vérité d’instiller le trouble dans l’ordre des choses, de préparer l’émergence de ce qui échappe à la normalité, voire de faire place au fantastique (comme dans cet autre chef d’œuvre qu’est Quartier lointain). Singulier manga littéraire, Les Années Douces propose un dialogue délicat entre l’art du roman et celui de la BD.

Olivier Dubouclez
Écrivain, Département de Philosophie

Jirô Taniguchi, Les Années Douces, trad. Élisabeth Tsuetsugu, adapt. Corinne Quentin, Paris, Casterman, 2020, 424p.

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