Pierre Goldman : L' ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport


Goldman

En redonnant, quarante ans après la mort de son auteur, L’ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport, Séguier ne déroge pas à la réputation qu’il s’est faite d’être « un éditeur de curiosités ». En effet, au même titre que celle de son contemporain Jacques Mesrine, la trajectoire de Pierre Goldman (1944-1979) continue de fasciner, d’autant qu’elle ajoute à la violence qui la singularise des composantes de militance politique, de quête identitaire et de questionnement sur la judéité, de jeu permanent entre vérité et fiction.

S’il fallait à tout crin relier cet ovni à une veine de la création littéraire en France, c’est peut-être le noir lyrisme des Chants d’un Lautréamont qu’il faudrait invoquer. Même si son auteur est clairement identifié à l’extrême gauche (lui qui collabora au Libération de l’après-68), ce positionnement idéologique n’encarcane jamais le récit ni ne le fige dans quelque sclérosante posture dogmatique. Le tueur mis en scène par Goldman est libre dans sa folie – si elle se définit comme une logique interne d’une cohérence sans faille, mais en rupture avec le monde environnant. Il fixe, comme Maldoror, sa propre éthique, ses propres lois et s’y tient. Il s’attaque méthodiquement (un adverbe que lui a inculqué la lecture forcenée de Kant) à des représentants des forces de l’ordre, policiers ou magistrats, et, juste après les avoir achevés à bout portant, prend soin de déposer à côté de leur cadavre un énigmatique olisbo – soit un jouet sexuel en forme de phallus, tronqué de ses testicules. L’intention et le message sont limpides. Du moins pour lui. C’est tout ce qui compte.

À chacun de juger si ce livre est « grand », « important », « inutile », « grotesque », « drôle », « déchirant ». Il demeure unique en son genre, et témoigne d’une énergie créatrice qui semble nous être devenue étrangère. Cela suffit à justifier qu’il faille le redécouvrir.

Frédéric Saenen
Écrivain, critique littéraire, rédacteur en chef de la Revue générale
Enseignant à l'ISLV

Pierre Goldman, L’Ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport, Séguier, Collection « L’indéfinie », 2019, 190 p.

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