Stefan Zweig : La Pitié dangereuse ou l’Impatience du cœur


Zweig

On connaît Stefan Zweig pour ses nouvelles ciselées et ses biographies guère conventionnelles à l’aune des austères exigences de la critique historique. Il a surtout laissé un poignant livre de souvenirs intitulé Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, qui constitue son testament intellectuel puisque, après avoir mis la dernière main à son manuscrit, il se suicidera avec sa compagne, mettant ainsi un terme définitif à l’exil brésilien auquel il avait été acculé. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est qu’il est l’auteur d’un seul roman, écrit en 1939, alors qu’il se trouvait encore à Londres après avoir fui l’Autriche annexée par les nazis  : La Pitié dangereuse ou l’Impatience du coeur.

Si Zweig maîtrisait à merveille l’art de la petite forme (la nouvelle), son unique incursion dans la technique romanesque enchante une fois encore le lecteur : située dans une petite ville de garnison, l’action met aux prises un jeune officier autrichien, Anton Hofmiller, avec une riche famille de la région, les de Kekesfalva, aux destinées de laquelle préside un homme d’affaires d’origine juive anobli et magyarisé. Édith, la jeune fille de la famille, est paralytique et la gaffe commise à l’entame de l’histoire par Hofmiller entraînera une série de conséquences inattendues qui vireront à la tragédie.

On retrouve dans ce roman l’extraordinaire finesse psychologique de Zweig, son intérêt (en bon contemporain de Freud) pour les dérèglements de la passion amoureuse, son souci de peindre aussi fidèlement que possible les dernières années de l’Empire déchu, y compris ses aspects moins reluisants (en particulier, l’antisémitisme larvé qui, jusqu’au bout, n’a cessé de le traverser). Surtout, Zweig dispose au plus haut point de cet « art de raconter » qui fait, selon Dominique Fernandez, l’apanage des grands romanciers. Cet autre voyage dans le monde d’hier vaut assurément le détour.

 

Nicolas Thirion
Département de droit, UR Cité

Stefan Zweig, La Pitié dangereuse ou l’Impatience du cœur, Trad. Alzir Hella, Grasset & Fasquelle, 1939, rééd. Le Livre de poche, 1991

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