Caroline Lamarche : Nous sommes à la lisière


Caroline Lamarche

Bien qu’elle ait écrit des romans de grande classe, portés par une langue à la fois incandescente et raffinée et par un sens efficace de la narration, sans doute Caroline Lamarche donne-t-elle le meilleur de son écriture dans les formes brèves, les contes, la poésie et, surtout, la nouvelle, comme si l’élégance de sa plume s’épanouissait au mieux dans la concision. Cependant, en France, les nouvelles éprouvent énormément de difficultés à trouver leurs lecteurs, et, par conséquent, à être publiées. On ne peut que le regretter quand on lit un recueil de la qualité de Nous sommes à la lisière, qui a valu à son autrice le prix Goncourt de la nouvelle en 2019.

« Recueil » n’est d’ailleurs peut-être pas le bon terme : bien qu’elles soient écrites à des époques différentes, les nouvelles de ce beau livre sont reliées par un fil conducteur. Il y est en effet toujours question de relations entre un être humain et un animal. Certes, cette thématique est secondaire dans l’économie narrative de plusieurs textes, alors qu’elle est au cœur de nouvelles comme « Frou-frou », qui ouvre le volume. Pourtant, qu’il soit secondaire ou primordial, le motif de l’animal constitue bel et bien un lien entre tous les textes du livre dans la mesure où il s’agit, dans tous les cas, d’un rapport sincère, c’est-à-dire d’un lien qui ne relève ni de l’anecdote ni de la fable anthropomorphe. Chez Caroline Lamarche, un cheval n’est pas le meilleur ami de l’homme, c’est un cheval.

Dans son célèbre Abécédaire filmé, le philosophe Gilles Deleuze explique que chacun peut entretenir « un rapport humain à l’animal » ou un « rapport animal à l’animal ». Sans doute la frontière entre ces deux attitudes est-elle floue, fluctuante, instable et s’agit-il d’une question de degrés. Toujours est-il que, sur cette base, on pourrait établir une sorte de continuum du rapport des écrivains à la faune. Un La Fontaine, par exemple, avec ses fables morales, serait exemplaire, à l’une des deux extrémités, des rapports les plus humains à l’animal, tandis qu’aux abords de l’autre extrémité se trouve sans doute Caroline Lamarche. Aussi peut-on dire qu’elle enrichit la littérature d’un territoire qui est, somme toute, encore très peu exploré.

En outre, par un effet de retour, en refusant l’identification, Caroline Lamarche parvient à décrire de vraies rencontres, qui se traduisent par un rapprochement troublant entre les espèces. D’où le (très beau) titre de son (très beau) recueil : Nous sommes à la lisière. À la lisière entre les mondes humains et animaux.

Laurent Demoulin
Auteur, poète, Langues et littératures romanes

Caroline Lamarche, Nous sommes à la lisière, Gallimard, Coll. blanche, 2019, 176 p.

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