Guillaume Cazeaux : Odyssée 2.0. La démocratie dans la civilisation numérique


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J'ai découvert Guillaume Cazeaux à travers la lecture de son Montaigne et la coutume édité chez Mimesis en 2015 et il m’avait fait forte impression. Aborder Montaigne et tenter de mettre à jour ce qui fait aujourd’hui encore la force de ce « penseur par gros temps » et ce à partir d’une thématique aussi délicate que la coutume me semblait relever du défi philosophique, surtout à l’heure où le débat médiatique et politique fait rage, donc de moins en moins dans la nuance. Comment éviter d’être taxé de réac quand on prétend montrer à la fois (le en même temps cher à Macron ?) que la coutume tyrannise et  sert de garde-fou. Sa capacité à suivre Montaigne sur les sentiers les plus sinueux de la pensée m’avait impressionné.

Je ne savais pas encore que dans Odyssée 2.0,  ce chercheur au PHILéPOL (Université Paris Descartes)  avait déjà tenté de parler tout en nuance de notre doute radical de citoyens face à la révolution civilisationnelle numérique et son cortège de buzz et autres  fake news. Il y a dans cet essai des passages éclairants où la comparaison sert vraiment la raison (le 21e siècle est bien comparable à d’autres époques troubles). Il y montre, par exemple, que Tocqueville avait bien compris au 19e S, juste après le révolution, la « spirale du silence » ou comment la  « bienpensance généralisée » (à l’époque il s’agit de l’irreligion manifestement partagée) génère en réalité la double pensée (ce qu’on dit en public versus ce que l’on partage  en privé, la religion latente, prête à revenir comme revient la marée ou  le refoulé).  Comment s’étonner alors que le web puisse servir d’exutoire et d’accélérateur à la doxa dans ce qu’elle a de plus violent et de plus obscur ? Il y a dans cet essai des idées très intéressantes qui pourraient répondre au vœu de l’auteur, à savoir « civiliser le web ». Il y a aussi – comme chez le dernier Foucault – de très belles pages sur la parrhèsia, que certains préfèrent appeler plus simplement « la franchise chère à Diogène ». Elle est encore et toujours une condition sine qua non de la démocratie.

Stéphane Dawans
Philosophe. Faculté d'Architecture

Guillaume Cazeaux, Odyssée 2.0. La démocratie dans la civilisation numérique, Armand Colin, 2014, 320 p.

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