Bernard Cottret : Cromwell


Cottret

Deux Cromwell se disputent la postérité. Le premier, Thomas Cromwell (1485 – 1540), fut le principal ministre du roi Henri VIII d’Angleterre et participa activement au schisme anglican, jetant ainsi les fondations d’un protestantisme original, distinct du luthérianisme et du calvinisme. Ce Cromwell-là a fait l’objet de représentations récentes, que ce soit dans la série The Tudors (2007 – 2010) ou la série Wolf Hall (2015). Le second, Oliver Cromwell (1599 – 1658) reste globalement absent des radars artistiques depuis le Cromwell de Victor Hugo, pièce de théâtre essentiellement connue du grand public pour sa préface ouvrant l’ère du théâtre romantique. La biographie de Bernard Cottret, professeur émérite à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, permet d’aborder cette figure historique à travers une étude sérieuse et plaisante.

Oliver Cromwell nous est relativement inconnu jusqu’à sa quarantaine. Membre de la gentry, la noblesse mineure, il étudie le droit et la bible, se marie, siège brièvement au parlement en 1628 et se contente de gérer son domaine en gentilhomme terrien.

Le destin d’Oliver Cromwell prend son envol à partir de 1640, date à laquelle il siège au Long Parlement convoqué par le roi Charles Ier. Le roi, en effet, tente une unification religieuse, sur un modèle anglican, de l’Angleterre et de l’Ecosse qui, bien qu’ayant un même roi, n’en ont pas moins deux parlements. L’hostilité écossaise est considérable et amène à la guerre. Charles Ier, contraint de convoquer un parlement pour lever de nouveaux impôts, se trouve alors confronté à des parlementaires hostiles à sa politique ainsi qu’à l’accroissement de ses pouvoirs. Ce front politique débouche sur une guerre civile opposant les parlementaires aux royalistes. Oliver Cromwell, membre du courant puritain, intègre rapidement l’armée et y dévoile tous ses talents. A Marston Moor (1644), Newbury (1644) et Naseby (1645), le Parlement l’emporte successivement et Cromwell voit sa gloire militaire augmenter à mesure que se développe la New Model Army, force militaire moderne dont la religiosité des soldats ne fait que renforcer l’ardeur et la discipline.

Impossible ici de résumer tous les subtils événements intervenus au cours de cette période bouillonnante. Signalons que les discussions religieuses ont des conséquences pratiques et politiques qui nous paraissent aujourd’hui bien éloignées. Tandis que les presbytériens soutiennent un système hiérarchique d’assemblées prenant en compte les réalités paroissiales, les indépendants défendent farouchement l’autonomie des églises locales. Ces débats religieux, multiples et variés, traversent l’ensemble de la société et remettent en cause l’ordre social existant. On ne peut qu’être frappé de la différence entre la prégnance de la religion dans les affaires politiques durant la révolution anglaise et la situation connue sous la Révolution française.

En 1649, Charles Ier est exécuté après avoir été jugé par les députés du Parlement. La même année est proclamée une république, le Commonwealth, qui perdure jusqu’en 1653. Dans les faits, Oliver Cromwell gouverne. Il dirige et combat, conquérant l’Irlande et soumettant enfin l’Ecosse, réalisant ainsi le projet unificateur des précédents souverains. En 1653, le régime devient un Protectorat ayant à sa tête un Lord Protector en la personne de Cromwell. Pour la première et dernière fois, un régime britannique est régi par une constitution écrite, l’Instrument of Governement.

En 1657, les députés proposent à Oliver Cromwell le titre de roi. Celui-ci refuse. Victor Hugo en fera le ressort dramatique principal de sa pièce : pourquoi ce refus ? La réponse serait-elle plus d’ordre métaphysique que de basse considération politique ? C’est là la piste avancée par Bernard Cottret. Quoi qu’il en soit, le Lord Protector décède l’année suivante, en 1658. Son régime, fait d’épurations successives du Parlement, ne lui survit pas. La restauration intervient en 1660 : Charles II monte sur le trône tant convoité et l’on fait subir les pires outrages à la dépouille de Cromwell. La propagande monarchiste se chargera d’établir définitivement dans les esprits que le règne de Cromwell fut celui d’un tyran. Pourtant, cet homme profondément croyant ne laisse-t-il pas derrière lui certaines réussites ? L’intransigeance morale et religieuse se conjugue étonnamment avec une certaine tolérance, qui permet en 1656 le retour des juifs en Angleterre. La modernisation militaire des forces terrestres et navales est également indéniable. Le royaume d’Angleterre a laissé la place à un Protectorat s’étendant à toutes les îles britanniques, grande puissance négociant d’égale à égale avec la France de Mazarin et commerçant avec le monde entier.

Bernard Cottret offre un regard passionnant sur le mystère Cromwell. La science historique n’est pas, dans cet ouvrage, sèchement énoncée. Elle s’exprime toujours avec précision et équilibre, ajoutant au plaisir d’apprendre un véritable plaisir littéraire. Tout amateur de littérature prendra grand intérêt à la lecture de ce Cromwell, qui offre au lecteur une plongée exotique dans ce 17e siècle britannique dont l’écho des armes et des débats théologico-politiques arrive de la sorte jusqu’à nous.

Vincent Danau
Alumni Faculté de Droit

 

Bernard Cottret, Cromwell, Paris, Fayard, 1992, 537 p.

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