Volker Braun : Poèmes choisis


Braun

Dans un entretien au journal L’Humanité, Volker Braun déclarait en 2004 : « J’ai grandi sur les coteaux bordant l’Elbe, d’où j’apercevais une ville détruite. » Le poète, en effet, est né à Dresde en 1939. Il y a dans cette dernière phrase assez d’éléments déjà pour comprendre l’itinéraire de cet écrivain dont le père est décédé dans les derniers jours de la guerre. Il étudie la philosophie à l’université de Leipzig, non sans avoir auparavant travaillé comme terrassier et conducteur de machine. L’année 68 va marquer son itinéraire, il communie aux idéaux du Printemps de Prague après avoir suivi de près les événements du mois de mai à Paris : « C’est de là que date le contre-texte vigilant et inflexible de notre littérature face au monologue du pouvoir » écrit-il dans son journal. Il veut rester dans cette RDA qui l’a vu naître, il s’engage dans la construction d’une société nouvelle en posant un regard critique sur le “socialisme réel”. Ce qui lui valut d’être surveillé discrètement par la Stasi. C’est ainsi que sa pièce Lenins Tod (La mort de Lénine) écrite en 1970 ne fut jouée qu’en 1988.

Les textes repris dans cette anthologie personnelle sont divisés en trois parties “historiques” : avant la chute du mur et le regard critique face à une politique qui avait perdu son âme, il n’hésite pas à s’insurger face au monologue au pouvoir, mais son choix est cependant clair :

Je demeure au pays et me nourris à l’Est.
Et grâce à mes strophes où je risquerais ma tête
Certes en d’autres temps, car à mon poste je reste.

Vient ensuite le moment de la chute du mur et une série de poèmes (1990-2000) dont le titre Le Massacre des Illusions ne permet pas le moindre doute sur la vision politique de l’auteur : « Le socialisme s’en va, Johnnie Walker arrive. » Il avertit, jette un regard prospectif aigu sur les dangers que contient cette abolition des frontières idéologiques, position qui n’est pas sans rappeler le film Good Bye, Lenin de Wolfgang Becker.

Volker Braun place dans la dernière partie, L’opulence, les poèmes du XXIe siècle qui, avec ironie, constatent la marchandisation à tout crin d’une société mondialisée. De nombreux poèmes font référence aux poètes majeurs de la littérature en langue allemande : Schiller, Goethe, Hölderlin, Büchner et bien sûr, Bertold Brecht. Les propos sont amers, sarcastiques, c’est l’opulence de la désillusion :

Nous autres iguanes, d’une espèce récente
Parquée face aux courbes des monnaies cassantes,
Voyons les banques s’effondrer en silence.
Pas même la colère, pas même un rire.

L’itinéraire de Volker Braun traverse notre époque et sa poésie reflète les grandes questions idéologiques, et leurs réponses pragmatiques, qui se sont posées depuis la fin de la seconde guerre, son regard est d’une extraordinaire lucidité au moment où se pose « La pointe du pied sur la fracture du monde, pas un coup de feu. » Une poésie de la résistance qui dialogue avec d’autres grandes figures (Benjamin, Brecht, Neruda) et nous dit combien la poésie reste plus que jamais nécessaire.

 

                                             Alain Dantinne
Écrivain et philosophe, Faculté d'Architecture

Volker Braun, Poèmes choisis, Traduits par Jean-Paul Barbe et Alain Lancecoll, Poésie / Gallimard, 2018, 192 p.

Retourner à la page des Lectures pour l'été 2019

>> Suivant

Share this page