Alexandre Vialatte : Les Fruits du Congo


Vialatte

Le XXe siècle français a développé une longue tradition de romans et de films d’école, de collège, de pensionnat, œuvres où la jeune République s’est donné l’occasion d’interroger les fiertés, et parfois les ambiguïtés, de son instruction obligatoire. Puissante chez Alain-Fournier, Jean Vigo, et jusqu’à François Truffaut et Louis Pergaud, cette tradition s’affadit ensuite lentement dans le vintage des Choristes (2004) ou le sociétal d’Entre les murs (2006-2008) et La Vie d’Adèle (2013). Si son souvenir s’est un peu perdu en cours de route, Alexandre Vialatte, avec Les Fruits du Congo (1951), n’est pas le moindre rejeton de cette lignée, quoiqu’il la dépasse en transformant le récit de formation par le récit de (dé)formation des images enfantines.

Le roman trace le parcours d’une bande d’adolescents luttant contre l’enlisement moral d’un petit village d’Auvergne par une profusion d’images exotiques. La moindre brochure illustrée leur donne prétexte à halluciner ce morne cadre de l’enfance. Les professeurs austères, les quincailleries miteuses, les îlot échoués sur le fleuve, tout s’habille et se grandit, fidèlement à l’imaginaire bien connu, de la douceur des lampes à huile, de la splendeur de la marine à voile, du charme du temps des équipages. Ces rêveries culminent un beau jour qu’apparaît, placardée sur les murs de la commune, une fascinante affiche publicitaire représentant une troublante femme noire…

Les Fruits du Congo prête cependant à des lectures ambivalentes. Pour les suaves malentendus de l’imaginaire qui le nimbent, il appartient de bon droit à la lignée des grands livres de l’enfance écolière et créatrice ; mais pour son réquisitoire contre la déformation médiatique des corps, on peut aussi y voir un Dorian Gray, un Laura de la réclame moderne ; actualisation aigre-douce, discrètement fatale, du vieux thème du portrait psychopompe, où le tableau (devenu affiche) finit par dévorer le modèle.

Un grand roman oublié, donc, riche par sa pensée et ses résonances littéraires. Et servi par l’une des langues les plus fines et imagées que nous laisse le XXe siècle français.

 

Luca di Gregorio
Langue et littérature italiennes

 

Alexandre Vialatte, Les Fruits du Congo [1951], Gallimard, « L’imaginaire », 1991.

Retourner à la page des Lectures pour l'été 2019

>> Suivant

Share this page