Peter Sloterdijk, Après nous le déluge


Sloterdijk

Peter Sloterdijk est indubitablement un des philosophes les plus influents outre-Rhin. C’est également le cas chez nous. Les polémiques publiques occasionnées par ses travaux – et situées souvent bien en-dessous ou bien à côté de son propos – en font une figure incontournable de la vie intellectuelle européenne contemporaine.

Cet ouvrage, le dernier à avoir été traduit en français, est une somme d’un bon demi-millier de pages consacrée au thème de la modernité et de la filiation (le titre original allemand dit : Les enfants terribles de l’époque nouvelle). « Après nous le déluge », titre choisi par l’éditeur français, formule de la marquise de Pompadour, maîtresse de Louis XV, sert à l’auteur de prétexte à une vaste relecture de l’époque moderne à travers le prisme de la transmission et du travail générationnel. Au XVIIIe siècle prend définitivement fin la reproduction générationnelle traditionnelle, adossée à la légitimité donnée par l’histoire : c’est désormais un «prima du futur» qui s’imposera aux hommes, primauté qui deviendra entre les mains d’un Napoléon (comme de ses innombrables imitateurs) puis dans la bouche d’un Nietzsche une « chute continue » aux effets secondaires difficilement prévisibles. Le mode d’être des hommes modernes sera donc ce que l’auteur théorise comme « hiatus », en quoi on pressent tout de suite, dans ce roman philosophique à suspens, le danger d’emballement, ce qui amène Sloterdijk à parler de la modernité comme de « l’ère des processus autoamplificateurs ». D’où la chute, sans fin et sans fond, toujours relancée, toujours accélérée.

Écrit sur le mode de l’essai, cet ouvrage est accessible sans formation philosophique pointue. Revenir sur le détail du propos serait laborieux, tant il brasse large dans son archéologie du hiatus, de la mystique chrétienne au mouvement Dada, en passant par le droit romain. C’est aussi toutefois ce qu’on pourrait lui reprocher : un certain éclectisme, un manque de systématicité. Un ouvrage érudit, original, donc, et qui n’est pas au-dessus de toute critique. On s’en réjouit.

 

Stany Mazurkiewicz
Philosophie analytique

 

Peter Sloterdijk, Après nous le déluge, Payot, 2016

 

Lectures pour l'été 2018

 

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