Rambour

En ouvrant ce recueil, je ne connaissais pas Christopher Falzone (1985-2014), mais je pensais en savoir quelque peu sur la poésie. Jean-Louis Rambour dans ce court texte vient nous parler du jeune musicien prodige, de son sourire inquiétant, de ses doigts, de son regard étrangement fixe : « Le Requiem de Ligeti / habite la faïence des yeux de Christopher Falzone ». Un constat clinique, l’homme est déjà ailleurs, il est là où le mènent le Zypresa ou le Xeroquel. Seules ses mains restent présentes, elles se baladent sur les 88 touches d’un piano et tentent l’inaccessible, elles relient encore, pour un moment, un corps désarticulé au sublime envisagé.

         Un chant d’anges dématérialisés accueille l’esprit
         atomisé dans un concert proche de l’inaudible,
         inconcevable pour nos oreilles de chair.
         Une joie et une félicité incompréhensibles fusent
         et anéantissent dans un souffle surnaturel
         nos repères médiocres sur la vie, la mort.

Nous côtoyons des Falzone dans le creux de nos vies, quelquefois trop occupés, nous ne les remarquons pas, en d’autres circonstances, nous les étiquetons : dépressifs, malades mentaux, bipolaires. Et nous poursuivons cette vie insipide qu’ils ont refusée. Rambour relie avec justesse différents lieux, Paris, Philadelphie, Verbier, où Falzone crut se réconcilier avec lui-même grâce à la musique ou grâce à un nouvel antidépresseur qui l’enfonçait un peu plus dans la mélancolie. À Genève, il choisit de se défenestrer, il choisit le saut de l’ange car il pensait depuis toujours voler comme Icare :

         Aujourd’hui Falzone est en cendres, n’est plus, le verbe être
         lui-même ne convient plus, ni lui, ni aucun mot,
         le monde n’est plus, a-t-il seulement été ?

Ce « Tombeau » en mémoire de Falzone, en mémoire aussi de ceux qui dès leur adolescence, dans un rêve prométhéen, cherchent à saisir l’inaccessible puissance des dieux. En refermant le livre de Jean-Louis Rambour, l’énigme de Christopher Falzone reste entière pour moi, mais je sais que ce mystère, mélange de musique et de silence, est au cœur de la poésie.

 

 

                                                                           Alain Dantinne
Écrivain et philosophe, Faculté d'Architecture

 

Jean-Louis Rambour, Tombeau de Christopher Falzone, Peintures de Ranaud Allirand, éd. de l'Herbe qui tremble, 2018, 64p.

 

Lectures pour l'été 2018

 

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