Claudio Magris, Vous comprendrez donc


Magris

Dans la mythologie grecque, Eurydice est l'épouse – heureuse – du poète Orphée. Elle meurt prématurément, mordue par un serpent venimeux. Orphée plaide alors si bien sa cause qu'Hadès, dieu des enfers, l'autorise à venir la rechercher et la ramener sur terre, à une seule condition : qu'il ne la regarde pas tant qu'elle n'a pas rejoint la lumière du soleil. Guidée par le son de la lyre de son amant, Eurydice le suit sur le chemin du retour à la vie. Mais à quelques pas de la sortie, Orphée se retourne pour vérifier qu'elle le suit toujours... et il la perd à jamais.

«Non, je ne suis pas sortie, Monsieur le Président, comme vous le voyez, je suis ici. Merci encore pour l'autorisation spéciale, vraiment exceptionnelle, je m'en rends compte,ne croyez pas que je ne vous en sois pas reconnaissante; lui aussi il était très ému, il n'aurait jamais cru l'obtenir quand il l'a demandée, cette permission de venir dans la Maison, de venir me chercher.» : C'est ainsi que commence le court roman de Claudio Magris, un texte qui mêle philosophie et poésie. Il imagine une Eurydice d'aujourd'hui, dans la semi-obscurité de la «Maison» où elle a décidé de rester, alors qu'elle aurait pu rejoindre l'homme qu'elle aime passionnément dans le royaume des vivants. Avec le récit de leur histoire, elle donne au «Président» les raisons qui l'ont fait agir de la sorte, dans un ultime sacrifice, par amour.  «Vous comprendrez donc, Monsieur le Président, pourquoi, alors que nous étions désormais tout près des portes, je l'ai appelé d'une voix forte et assurée, la voix que j'avais dans ma jeunesse, de l'autre côté, et lui – je savais qu'il ne résisterait pas – il s'est retourné, tandis que moi je me sentais aspirée en arrière, légère (...)»

Par ce magnifique monologue, Magris donne à cette nouvelle version du mythe, une place centrale à Eurydice : la femme représente la puissance et l'homme la fragilité. Son mari ne peut rien sans elle, il lui doit tout. Vivante, elle avait un rôle essentiel dans son œuvre poétique comme dans sa vie. Morte, elle lui donne la force et la chance d'être peut-être encore heureux un jour, ignorant du néant. 

L'Université de Liège avait eu le grand plaisir d'accueillir Claudio Magris lors du Festival littéraire international Mixed Zone. L'auteur y a notamment présenté son dernier roman traduit en français Classé sans suite.

Claudine Simart
Service Culture

 

Claudio Magris, Vous comprendrez donc, L'Arpenteur, trad. fr par Jean et Marie-Noëlle Pastureau, 2008, 64 p. 

 

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